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Xerfi Precepta vient de publier une étude sur les enseignes de boulangerie et le développement de leurs prestations de petite restauration. Matteo Neri, directeur de l’étude*, évoque un marché en pleine évolution en écho aux nouveaux modes de consommation.

LMDS : Comment se structure aujourd’hui le marché des boulangeries en France ?

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Matteo Neri, directeur d'études chez Xerfi Precepta

Matteo Neri : Les boulangeries artisanales, terminaux de cuisson, dépôts de pains et pâtisseries représentent un chiffre d’affaires d'environ 21 milliards d'euros en France, dont près de 18 milliards pour les seules boulangeries artisanales. Ces dernières assurent, sur un même site, l’ensemble des étapes de fabrication et de vente au détail de pain. Elles commercialisent également des viennoiseries, des pâtisseries et des produits frais de petite restauration (sandwichs, quiches, tartes salées, etc.). Une très large majorité de 34 000 points de vente est détenue par des artisans indépendants et un tiers d’entre eux adhèrent à une marque de minoterie (Banette, Festival des pains, Baguépi, etc.). Une part croissante des boulangeries se développe sous enseigne (Marie Blachère, Ange, Boulangerie Louise, etc.).

En parallèle, les terminaux de cuisson assurent uniquement la cuisson des produits de boulangerie, viennoiserie, pain (BVP) sur place et proposent généralement une offre étoffée de petite restauration. La majorité d’entre eux sont rattachés à une enseigne nationale, à l’image de Paul (Groupe Holder), de Brioche Dorée (Groupe Le Duff), ou encore La Croissanterie (Le Goût du Naturel).

LMDS : Que pèsent aujourd’hui les produits de snacking et de restauration rapide sur le marché des boulangeries ?

M.N. : Face à la baisse structurelle de la consommation de pain en France, la plupart des boulangeries se sont tournées vers la vente de produits de petite restauration. Elles se retrouvent ainsi en concurrence frontale avec la restauration rapide. Sandwiches, pizzas, quiches, burgers et autres boissons génèrent aujourd’hui 35 % du chiffre d’affaires des terminaux de cuisson et 17 % de celui des boulangeries. Au total, ces produits de snacking commercialisés dans les enseignes de boulangeries pèsent trois milliards d’euros et représentent 10 % du marché de la restauration rapide.

LMDS : Comment évoluent les stratégies de développement privilégiées aujourd’hui par les enseignes de boulangerie et pâtisserie ?

M.N. : Pour renforcer leurs positions sur le marché de la pause déjeuner, les grands réseaux ne ménagent pas leur peine pour étoffer leur offre de snacking. Certaines grandes enseignes proposent en outre des menus low-cost en réponse aux formules anti inflation des chaînes de fast-food. Marie Blachère commercialise par exemple un Menu Ptit Malin à cinq euros. D’autres encore n’hésitent pas à installer des espaces de restauration dans leurs points de vente, signe de la porosité croissante entre boulangerie et restauration. Pour s’implanter en centre-ville, les grandes chaînes ouvrent également des coffee shops, à l’instar du groupe Holder avec son concept Paul Le Café qui compte une quarantaine de boutiques.

LMDS : L’activité du secteur peut-elle se maintenir entre les investissements à consentir et la flambée des coûts matière et des charges, a fortiori sur un marché du hors domicile qui peine à retrouver ses niveaux de fréquentation d’avant-Covid ?

M.N. : Pour compenser la hausse des coûts de l’énergie et des matières premières, les boulangeries artisanales ont surtout augmenté leurs tarifs. Les prix du pain ont ainsi bondi de 17 % entre 2021 et 2023. L’élargissement de l’offre de snacking, la montée en gamme, le développement du parc de points de vente et la commercialisation via les plateformes de livraison ont également soutenu l’activité. Le chiffre d’affaires des boulangeries artisanales a ainsi progressé de près de 8 % par an ces dix dernières années pour s’établir à 18 milliards d’euros.

L’activité des terminaux de cuisson a pour sa part augmenté de moins de 6 % en raison de l’érosion du parc et du recul de la fréquentation. En revanche, les marges des enseignes ont souffert, la hausse des prix n’ayant pas suffi à compenser la flambée des coûts. D’ici 2026, leur situation financière reste notamment tributaire de l'évolution incertaine des cours des matières premières. La croissance du secteur devrait, elle, toujours profiter de l’ouverture de points de vente mais aussi de moindres pressions sur le pouvoir d’achat des ménages. C’est d’autant plus vrai que de nouveaux investisseurs se montrent très offensifs dans le secteur de la boulangerie

LMDS : Comment envisagez-vous chez Xerfi l’évolution du paysage concurrentiel sur ce secteur clé sur le hors domicile ?

M.N. : Rappelons au préalable que la coopérative agricole Invivo a racheté Boulangerie Louise tandis que le groupe diversifié Lov, déjà propriétaire des pâtisseries Ladurée et des boulangeries Liberté à Paris, a pris 35 % du capital de Boulangerie Ange en septembre 2023. La coopérative céréalière Arterris a pour sa part mis la main sur Occipain et son réseau de terminaux de cuisson La Panetière/Secrets de Pain.

Trois exemples qui illustrent comment ces investisseurs essaient de reproduire le modèle à succès du partenariat Marie Blachère/Grand Frais en adossant un réseau de boulangerie à une enseigne multifrais. L’incursion de ces nouveaux venus devrait se solder par la multiplication des ouvertures de magasins sous enseigne et par une consolidation accrue du secteur. De quoi nuire aux boulangeries indépendantes. Précisons que les boulangeries s’imposent comme le premier commerce de proximité en France avec près de 34 000 points de ventes, selon les instances professionnelles du secteur.

(*) :  L’étude Xerfi Precepta  « Les enseignes de boulangerie et pâtisserie - Les stratégies d’expansion et d’adaptation face aux nouveaux modes de consommation ». Pour en savoir plus sur l’étude : xerfi.com