© Le Monde du Surgelé
Xerfi Precepta vient de publier une étude sur le marché des fournisseurs de la restauration et modèles économiques qui le composent. Entretien avec Delphine David, autrice de l’étude, qui évoque les grands enjeux qui s’imposent aux grossistes et fabricants.

LMDS : Comment les fournisseurs de la restauration vont-ils maintenir la croissance de leur activité ?

Delphine David : Soumise à un cadre réglementaire qui lui impose de contribuer au développement d’une alimentation saine et de réduire l’empreinte carbone de ses activités logistiques, la profession est également impactée par la crise du pouvoir d’achat et les arbitrages des consommateurs. Pourtant, les perspectives s’annoncent favorables pour les fournisseurs de la restauration si l’on considère que la France se rapproche peu à peu du modèle américain où la restauration pèse plus de la moitié du budget alimentaire des ménages, contre 30 % aujourd’hui en France. D’ailleurs, la restauration gagne régulièrement des parts de marché sur le commerce alimentaire et les repas faits maison. L’explosion du nombre d’établissements de fast-food, de restauration collective et de débits de boissons ne dit pas autre chose (+20 % en 12 ans). Les produits alimentaires et boissons pour la restauration hors domicile ont généré un chiffre d’affaires en hausse de 9 % à 35 milliards d’euros en 2023 dont environ les deux tiers entre les mains des 20 principaux fournisseurs.

LMDS : Pour autant, votre étude présente des prévisions moins réjouissantes à court terme ?

D.D. : En effet, le rattrapage Covid est désormais bien derrière nous. Amorcé l’an dernier, le ralentissement de l’activité des restaurateurs persistera en 2024 et 2025. Cela affectera à l’évidence l’activité des grossistes alimentaires et cash & carry. L’activité des fournisseurs leaders de la restauration ne progressera plus que de 4 % en 2024 et 2,5 % en 2025 (en valeur). Or, proposer un large choix de produits à des prix compétitifs ou un service logistique performant ne suffira plus alors que la concurrence va monter d’un cran. Ils peuvent en revanche se positionner ou se renforcer sur des segments de marché en croissance. C’est par exemple le cas de gammes de produits pour les boulangeries, devenues des acteurs incontournables de la pause déjeuner. Les chaînes de boulangeries développent en effet des concepts de coffee shop à l’instar de Café Marie Blachère. Pour fidéliser les restaurateurs, les professionnels peuvent aussi jouer les accompagnateurs en proposant des solutions globales, y compris dans le non alimentaire et des bouquets de services (recrutement, comptabilité…), pour devenir le guichet unique de leurs clients. Par exemple, Transgourmet, avec son portail de services, a déjà fait un premier pas en ce sens.

LMDS : Dans un marché devenu hyperconcurrentiel, comment se démarquer des autres ?

D.D. : Grossistes, cash & carry, producteurs exerçant une activité de vente directe aux restaurateurs, prestataires logistiques ou encore commerces de détail alimentaires : les fournisseurs ont des profils variés. L’activité reste toutefois concentrée puisque les vingt premiers en représentent les deux tiers, à commencer par Metro et Pomona. Nous estimons que la part de marché des grossistes, environ les deux tiers du marché, (N.D.L.R. : au moins 80 à 90 % sur le seul périmètre des surgelés) va se renforcer car ces acteurs vont poursuivre leur consolidation. Ils doivent en effet massifier leurs achats dans un objectif de compétitivité prix mais aussi développer et sécuriser leurs approvisionnements locaux et bio pour s’aligner avec la loi EGalim. Selon nous, cette consolidation pourra se faire via des alliances entre groupements d’indépendants ou via des rachats de grossistes « suiveurs » par des grossistes leaders.

LMDS : qu’en est-il aujourd’hui des initiatives des distributeurs GMS en restauration, qu’on annonçait nombreuses ?

D.D. : Pour leur part, les enseignes de la grande distribution alimentaire tardent finalement à développer des offres adaptées aux besoins des restaurateurs. Elle gagnerait pourtant à proposer des services spécialisés en magasin et en ligne. Des linéaires réservés aux professionnels pourraient permettre de réallouer des surfaces. Cela permettrait d’améliorer la rentabilité des hypermarchés et de rentabiliser plus rapidement leur activité e-commerce. Plus grand marché de gros au monde, Rungis est également un précurseur dans de nombreux domaines : circuits courts avec son projet Agoralim ou encore intelligence artificielle. En avance sur l’ensemble des fournisseurs de la RHD, son site Rungismarket.com regroupe les grossistes du marché et permet de proposer une livraison unique aux clients restaurateurs quand ils commandent auprès de plusieurs vendeurs.

LMDS : Quelles sont les solutions à privilégier pour conquérir les restaurateurs ?

D.D. : Sous-équipés en sites et applications mobiles marchand, les professionnels doivent accélérer en matière d’e-commerce. Pour conquérir les restaurateurs indépendants en général, les TPE PME en particulier, le lancement de tels dispositifs est pourtant indispensable. Le digital est en outre au cœur de la stratégie des entrepreneurs restaurateurs pour diversifier les services aux clients mais aussi pour optimiser leur business (comme la fonction achats entre autres). En tant qu’intermédiaire, les fournisseurs ont aussi le pouvoir de faciliter les échanges entre producteurs et consommateurs pour une valorisation optimale des productions locales (N.D.L.R. : y compris en surgelé). Les contrats tripartites et les plateformes numériques sont deux dispositifs pour renforcer les liens entre l’amont et l’aval. Aider les restaurateurs à valoriser les savoir-faire locaux auprès des clients est un autre axe possible de différenciation. Cela peut se matérialiser par le déploiement de supports publicitaires dans les salles de restaurant ou la mise en place d’animations pour promouvoir le « bien manger » en restauration collective.

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Delphine David est l’autrice de l’étude Xerfi Precepta « Les fournisseurs de la restauration - Les principales stratégies d'impact : optimiser croissance, durabilité et nouvelles opportunités » Pour en savoir plus sur l’étude : xerfi.com