LMDS : Sur fond de crise Covid, que retenez-vous de la dernière édition des négociations commerciales ?
Dominique Amirault : Les négociations commerciales ont été hétérogènes en fonction des enseignes. Nous constatons un meilleur discernement PME chez les distributeurs indépendants que chez les intégrés. Néanmoins, si on veut dégager une tendance générale, il apparaît que les négociations 2021 ont été difficiles pour les PME françaises avec des demandes de déflation et peu de revalorisation tarifaire. Les demandes de hausse de tarif justifiées par la hausse des coûts de matières premières et les surcoûts liées à la crise sanitaire n’ont pas été prises en compte, malgré la présence des indicateurs de coûts de production.
LMDS : Concrètement, qu’est qui a changé dans les rapports entre distributeurs et PME fournisseurs, depuis l’instauration de la loi EGALim fin 2018 ?
D.A. : Plus de deux ans après son entrée en vigueur, force est de constater que les principales mesures (SRP +10, encadrement des promotions, indicateurs de coûts de production) n’ont pas permis d’atteindre l’objectif de revalorisation des revenus agricoles. Aujourd’hui, nous sommes toujours dans le système hérité de la loi LME (Loi de Modernisation de l’Économie, 2008), à savoir celui de la négociabilité tarifaire et de la lutte contre l’inflation qui ont créé la guerre des prix.
Cette guerre des prix s’est répercutée sur les agriculteurs et les industriels PME, en raison du déséquilibre structurel entre l’amont atomisé (470 000 agriculteurs, 18 000 PME) et l’aval concentré (4 centrales d’achat, 80 multinationales). Dans le même temps, cette guerre des prix a encouragé l’importation de produits élaborés dans des conditions de concurrence inégales comparées à celles supportées par les productions françaises. Ainsi, l’ensemble de la filière est confronté à de la destruction de valeur. Aussi, il est mortifère pour la filière que l’État confie aux distributeurs le rôle de la défense du pouvoir d’achat des ménages. Ce n’est pas leur rôle. La mission des distributeurs est de faire du commerce pour répondre aux attentes des consommateurs, pas de lutter contre l’inflation ! Il faut donc définitivement lever cette ambiguïté pour rééquilibrer le rapport de force. Le Président Macron l’a bien compris lorsqu’il pose fin février la question de la compatibilité entre la LME et EGAlim. Il faut terminer EGAlim pour permettre d’inverser concrètement le mécanisme de formation des prix en partant de l’amont agricole. Pour cela, nous devons sortir de l’idée du « ruissellement » qui part du distributeur (et qui visiblement a échoué) et mettre en œuvre la « marche avant » de construction du prix. Cela ne sera possible que lorsque le fournisseur (agriculteur et industriel) sera en mesure de facturer son prix à son client en aval.
Selon le président de la FEEF, les surcoûts liées à la crise sanitaire n’ont pas été pris en compte dans les négociations 2021.
LMDS : Comment évolue aujourd’hui la part des PME dans l’offre en linéaires ? Leurs spécificités sont-elles mieux prises en compte par rapport aux grands groupes ?
D.A. : A la FEEF, nous privilégions depuis toujours l’approche collaborative avec les distributeurs. Les enseignes sont avant tout les clients des PME ; il est donc crucial de les considérer comme des partenaires. C’est la raison pour laquelle nous sommes des fervents défenseurs du discernement PME. En effet, les PME n’ayant pas les mêmes façons de fonctionner et les mêmes valeurs que les multinationales, il est nécessaire de prendre en compte leurs spécificités. Ce discernement PME se traduit en particulier par la signature d’accords contractuels pour améliorer la relation commerciale pour les PME (aménagement des pénalités logistiques, réduction des délais de paiement, par exemple).
De surcroît, rappelons que les PME sont une source de croissance et de différenciation pour les enseignes. De fait, elles se développent dans l’offre linéaire mais pas au rythme souhaité par les consommateurs, au regard de la forte appétence de ces derniers pour les marques locales et de la confiance des citoyens dans les PME (79 % selon le Cevipof).
Dominique Amirault : « La mission des distributeurs est de faire du commerce pour répondre aux attentes des consommateurs, pas de lutter contre l’inflation ! »
LMDS : Selon vous, quels leviers seraient à privilégier pour préserver la compétitivité des PME de l’alimentaire ?
D.A. : Tout d’abord, il est indispensable de rendre à l’industriel PME la maîtrise de son tarif. Nous préconisons de rendre d’application immédiate la date d’application du tarif fournisseur dans les 2 mois après son envoi. D’une part, cela permettrait la répercussion immédiate des hausses de matières première agricoles afin de revaloriser les revenus agricoles. D’autre part, cela mettrait fin à la destruction de valeur pour les PME, favorisant les investissements en France et la création d’emplois locaux.
Parallèlement, il est crucial de redonner de l’oxygène aux PME françaises en supprimant l’encadrement en volume des promotions. En effet, comme les marques PME sont des challengers et disposent de forces de ventes, de budgets marketing et publicité limités, la promotion en volume est leur principal outil de développement commercial pour se faire connaître auprès du consommateur.
Aussi, nous sommes favorables à la mise en place de contrats à durée indéterminée (CDI) entre fournisseur PME et distributeur afin de sortir de cette précarité de la relation annuelle et assurer une meilleure visibilité pour les industriels.
Enfin, à l’heure à laquelle sont évoqués les enjeux de relocalisation et de réindustrialisation, les distributeurs devraient favoriser les PME françaises dans leurs achats et accroître la part d’offre des produits PME dans leurs linéaires. En effet, la souveraineté alimentaire et locale passe en premier lieu par les PME françaises indépendantes, créatrices d’emplois non délocalisables et qui constituent le principal maillage de notre tissu industriel dans les territoires.
(*) : Fédération des Entreprises et Entrepreneurs de France (feef.org)